Contrechamps. Tracteurs, batteuses et vieilles ferrailles

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Auteur : Rémy Beurion
Editeur : CPE
Format : Relié
Paru le : 22/11/2011
ISBN : 9782845039476
Nombre de Pages : 144 pages
Poids : 1,115 Kg
Taille : 22,8 cm × 28,8 cm × 2,1 cm

Description :
"Est-ce la sueur ou l'eau sur son large front ? Ou le matin humide sur sa condition ? Ou une peur limpide de n'être que plus rien ? Ses grands yeux de phares éteints ont l'air d'être bavards d'un silence singulier. Et sa peau de tôle, soudain marécageuse, ondule de questions sans réponse lumineuse. C'est étonnant de lire l'inquiétude sur une carcasse de fer. Une ride cabossée au-dessus du regard défend le relief d'un sourire qu'on devine. Je ne sais pas parler la machine, encore moins le langage indistinct de la mécanique. Mais il y a, d'un seul coup, dans ce visage métallique, l'expression d'une noyade annoncée. Le bord de la skyzophrénie vient peut-être de m'atteindre mais comment expliquer, si ce n'est pas par une raison médicale, la franche certitude que ces deux yeux me parlent ? La sueur sent la peur mais la pluie sent la douceur, sans doute que le ciel opaque qui a déteint sur l'acier y est pour beaucoup. Le voilà peut-être parvenu au bout d'une longue course intérieure, peut-être a-t-il franchi une ligne d'arrivée ou peut-être encore est-il soumis aux règles météorologiques auxquelles il ne peut lui-même se soumettre ? Je m'avance en cherchant un signe qui serait un signe de vie mais très vite, je me rétracte, et ma conscience atteinte par son jeu de rôle, me dicte une conduite à tenir : justement, me tenir éloigné. Toutefois, je me sens étranger aux aléas extérieurs. Bizarrement, il ne pleut pas sur moi donc il ne pleut pas non plus sur lui. Or, d'où viennent ces perles humides qui ornent son front froid ? Toute absence de chaleur n'est pas dûment la mort mais l'absence de vie non plus n'est pas la mort. Elle est le récit de l'objet et cet objet-ci est, je le sais, je l'ai vu, le fruit d'une passion étonnante. La passion peut-elle donner la vie aux choses ou du moins, donner l'illusion d'une vie aux choses ? A tel point que ce front bas que des nuages peuvent atteindre, respire l'eau salée d'une transpiration ou l'eau douce d'une pluie fine ? Je suis à deux doigts de lui parler mais quelque chose me retient, de l'ordre du factuel, de l'ordinaire, de la logique. On me dit qu'il a un nom " Vierzon ", il s'appelle " Vierzon ", comme la ville, précédé de " un ", car on dit " un Vierzon " comme on parle " d'une chose ". Cette ville-là me parle, disons mieux, elle se chante. Et que fait-il, ici, au milieu d'ailleurs, ce " Vierzon " étonnant avec sur le front, le sigle de son appartenance ? Il sue d'une pluie anonyme, il transpire d'un patronyme, il attend, dans une parfaite immobilité, son instant d'intérêt. Que cherche-t-il à dire qui ne soit illisible sauf sur son front d'acier où perlent des gouttes d'eau. Sauf dans ces ronds de phares qui n'allument rien d'autres qu'un étrange questionnement : qui est-il pour nous interpeller de la sorte ? Et si je le tutoyais, en chuchotant, si je me penchais doucement pour lui parler, me répondrait-il avec autant de gestes que j'aurais de mots ? Je vais aller plus loin, voir d'autres bavardages. Mais voilà que je sens la pluie doucement ruisseler sur mon visage. Il pleut. Une certaine façon d'écouter les machines silencieuses."